lundi 22 juillet 2019

Magasin général: Le Gros Lot de Duhamel


Magasin général: le gros lot de Duhamel
Stéphanie Grammond
22 juillet 2019
La Presse

Dans le temps, la vie des villages tournait autour de l'église et du magasin général. Cet été, notre chroniqueuse Stéphanie Grammond visite ces commerces qui témoignent de la vitalité économique de leur patelin.

Je vous dis que ça brasse à Duhamel cet été. Les employés de la SEPAQ ont fait la grève devant le Centre touristique du Lac-Simon. La grogne monte contre un projet de mine de graphite qui donne la frousse aux propriétaires riverains.

Si vous voulez tout savoir, il faut arrêter au dépanneur Serjo, qui est l'âme de ce petit village reculé de l'Outaouais où j'ai passé les étés de ma jeunesse. Comme le parvis de l'église à une autre époque, c'est l'endroit où vous trouverez les réponses à vos questions. Besoin de quelqu'un pour réparer votre canot ? Pas de problème, on va vous aider. Et en passant, vous pouvez y acheter des vers de terre, des feux d'artifice ou des cretons maison.

Mais les Duhamellois ont eu chaud il y a deux ans. Ils ont craint que le commerce disparaisse lorsque l'ancien propriétaire, Guy Poliquin, a vendu un billet gagnant de 12 millions de dollars à un membre de sa famille.

Imaginez, le fameux billet a dormi trois semaines au magasin avant que l'heureux gagnant le valide lui-même. La machine a simplement joué quelques notes différentes, puis a écrit : « Ne payez pas. »
« Ça a l'air que je suis devenu blême », me raconte Guy qui est la mémoire vivante de Duhamel.

***

À 70 ans passés, la commission de 1 % qu'il a reçue de Loto-Québec était la poussée qu'il lui fallait pour prendre sa retraite, pour quitter le commerce où il travaillait depuis l'âge de 18 ans.

Le magasin acheté par son père en 1960 était sa vie et sa maison. Il a carrément grandi avec la clientèle, car le magasin n'est séparé de la cuisine et de la salle à manger que par une porte toujours ouverte.

Quand les habitués venaient acheter leur journal, certains finissaient par s'asseoir autour de la table pour feuilleter les pages en jasant. Autres temps, autres moeurs, les gens qui n'ont pas le WiFi au chalet viennent maintenant se garer devant la bibliothèque pour utiliser son WiFi et télécharger La Presse+. Chacun dans son auto.

Autrefois, certains clients s'invitaient presque au réveillon de Noël des Poliquin.

« On restait ouvert après la messe de minuit », se souvient Guy qui avait hâte de déballer ses cadeaux.
Mais c'était comme ça. Toujours ouvert. Sept jours sur sept. Souvent de 7 h à 23 h.

« En dernier, j'étais fatigué, avoue Guy. J'ai dit : on vend ou on ferme. »

***

Les résidants et les vacanciers des alentours auraient été bien mal pris s'il avait fallu que disparaisse le magasin avec la seule et unique pompe à essence des environs, le bureau de poste et le comptoir de la SAQ.

Déjà qu'il n'y a plus beaucoup de commerces à Duhamel qui se résume pratiquement à l'intersection de la route 321 qui mène au lac Gagnon et la rue Principale qui débouche sur le camping de la SEPAQ au lac Simon.

Sur un coin, l'ancienne épicerie a fermé. En face, le seul édifice un tant soit peu historique de la municipalité a été démoli l'hiver dernier. L'immeuble qui avait déjà abrité une banque était vide depuis un bail. Des dégâts d'eau successifs ont eu sa peau.

À côté du trou béant, il reste maintenant l'église où le curé fait la bénédiction des motos tous les printemps (oui, oui, 400 motos y participent) et le magasin de Guy Poliquin.

Heureusement, Serge Drouin et Johanne Vandal, deux résidants de Duhamel, ont racheté le commerce. Ils l'ont rebaptisé à leurs noms (Serjo), mais ont gardé la même recette, y compris celle de sauce à spaghetti.

« Elle est pareille, pareille ! », me jure Johanne à côté du congélateur où se trouve la viande.
Son meilleur client demeure Guy Poliquin qui vient manger tous les midis... et donner un coup de main. À peine a-t-il mis le pied dans le magasin qu'il est déjà en train d'aider un client avec une cruche d'eau. Son frère Richard est dehors à réparer la pompe à essence détraquée par un orage récent.

***

Pour Johanne, heureusement que le conflit de travail à la SEPAQ s'est réglé en fin de semaine. Ici, la saison estivale est cruciale.

La vocation de la région a changé. Avant, c'était le bois qui faisait vivre le coin, notamment avec la Compagnie Singer, dont le père de Guy était gérant régional. Il était aussi le maire de Duhamel.
Maintenant, l'industrie forestière ne fait plus vivre personne. Le secteur récréotouristique a pris le relais, avec les vacanciers qui passent l'été au bord des lacs. Et encore, ce n'est plus ce que c'était.

« Si on recule il y a 25 ans, les gens venaient passer deux mois à leur chalet ou deux semaines au camping. Aujourd'hui, ils viennent pour trois ou quatre jours. Ils partent de la ville avec toutes leurs affaires », explique Guy.

Et l'hiver, on compte beaucoup moins de motoneiges, car la fermeture du sentier du P'tit Train du Nord a bloqué les nombreux groupes de Français qui faisaient une boucle en passant par Duhamel.
« Ça a gâté la sauce », déplore Guy.

Mais les vacanciers de la région ont maintenant peur que leur petit coin paisible soit dénaturé par une société de Vancouver, Lomiko Metals, qui a commencé à forer dans le but d'exploiter une mine de graphite, une matière première utilisée dans les batteries de voitures électriques.

Un autre projet de mine de graphite, à Grenville, a déjà suscité une vive opposition. À Duhamel, les riverains redoutent que les résidus d'une mine à ciel ouvert se déversent dans les lacs avoisinants. C'est pourquoi sept associations de lacs de la Petite-Nation viennent de voter une résolution pour s'opposer au projet.

Il ne faudrait pas que la MRC de Papineau, qui est le « Pays de l'or vert », se transforme en région minière.