L’exploitation du graphite, une industrie qui convoite la région
Charlotte Leblanc-Haentjens
Mercredi 7 avril 2021
À la suite de l’apparition du projet minier à Saint-Michel-des-Saints dans Lanaudière, la région de la Petite-Nation se prépare à devoir confronter cette réalité de plus près.
La nouvelle du développement de Matawinie, piloté par l’entreprise Nouveau Monde Graphite, fait réagir la population du sud du Québec. Les régions voisines des Laurentides et de l’Outaouais étant tout autant sollicitées pour ce minerai, populaire pour la création de batteries faisant battre le cœur des voitures électriques, s’inquiètent de leur sort.
Le maire de Duhamel, David Pharand, est très impliqué au sein du dossier qui englobe ces questions, avec la MRC Papineau. D’ailleurs, il en a été désigné le porte-parole. « Nous avons dressé une étude démontrant que plusieurs de nos territoires s’avèrent incompatibles avec l’activité minière, indique-t-il. Toutefois, le gouvernement nous a retourné le rapport en disant que ça ne correspondait pas à tous leurs critères. »
Au sein de cette étude, il y est mentionné à titre d’exemple le lac d’Argile, à Val-des- Bois, entre autres. « Ce plan d’eau, qui est bordé d’un terrain de golf et de camping, aurait un potentiel minier de 40 %. Or, pour ceux qui connaissent cette source, l’idée que de tels travaux puissent y être menés s’avère tout simplement inconcevable », fait valoir M. Pharand.
Le maire explique qu’un des grands joueurs de l’acquisition du graphite au Québec est notre voisin du sud. « Nous avons fait nos recherches et nous nous sommes rendu compte que les États-Unis désirent s’affranchir de leur dépendance envers la Chine, qui se trouve à être leur principal fournisseur en cette matière. »
Dans une lettre ouverte, publiée en février dernier dans différents journaux, le porte-parole du Regroupement de protection des lacs de la Petite-Nation (RPLPN), Louis Saint-Hilaire, ainsi que le préfet de la MRC Papineau, Benoit Lauzon, l’expriment également. Ils font aussi référence à l’éventualité du développement d’une usine de batteries pour voitures électriques.
« Depuis deux ans, Québec se positionne dans la course mondiale aux solutions de rechange à l’or noir. L’argument est simple : nous avons au Québec tous les minéraux critiques et stratégiques nécessaires pour alimenter la plus grande des usines de batteries, de même que des tarifs d’électricité compétitifs. Ce marché, actuellement contrôlé par la Chine, fait saliver les Américains », peut-on lire.
D’autres leaders de la région expriment leur souhait d’être davantage entendus dans ce dossier par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. « Avec l’Union des municipalités du Québec (UMQ), nous demandons plus de souplesse de la part des dirigeants. Cette requête a été envoyée il y a quelques semaines, nous attendons des réponses des responsables », poursuit M. Pharand.
Quant au porte-parole du RPLPN, il explique le rôle du regroupement auprès des dirigeants municipaux. « Nous nous sommes joints à M. Pharand et à la MRC Papineau alors que le gouvernement retournait leur demande concernant les Territoires incompatibles à l’activité minière (TIAM), leur disant de refaire leurs devoirs. Nous travaillons présentement très fort sur cette affaire », mentionne-t-il.
PROJET À LAC-DES-PLAGES
Il souligne également l’existence d’un projet de forage à Lac-des-Plages, mené par l’entreprise Lomiko Metals, basée en Colombie- Britannique, qui s’intéresse à la ressource du graphite. « Certaines de leurs explorations dans le sol ont lieu à environ 500 mètres du lac Doré. Cela pourrait déjà comporter des risques pour la communauté, ainsi que pour la nature », fait valoir le porte-parole.
Le regroupement n’est pas favorable à ce genre de développement sur le territoire. « Disons-le, personne n’est venu s’installer près d’un lac pour se trouver près d’une mine. Aussi, les gens ne semblent pas faire la différence entre une carrière et une mine à ciel ouvert. Un développement comme à Saint-Michel-des-Saint, c’est la grosseur du lac Doré et trois fois plus profond ».
Ce qu’explique ce défenseur de la nature est que ce genre d’industrie peut s’avérer excessivement nocive pour l’écologie. « Ces travaux se déploient sur plusieurs kilomètres. Ça comprend aussi du dynamitage, tous les jours. Sans parler du transport ainsi que les risques de contamination. Seulement 5 à 6 % de graphite se trouve dans le sous-sol. Le reste, après ça, ce n’est plus bon. »
Enfin, il ajoute que le sud du Québec n’est pas habitué à ce contexte minier, comme le serait la Côte-Nord par exemple. D’ailleurs, la MRC serait avant-gardiste dans ce dossier, sonnant l’alarme aux secteurs avoisinants.
« Ça aura une empreinte importante sur le paysage. Nous travaillons donc aussi sur la notion d’acceptabilité sociale. Nous avons fait circuler une résolution disant que nous nous opposons à un tel développement, et 10 municipalités du nord au sud de la Petite-Nation nous appuient. »
IMPUISSANCE
Le maire de Lac-des-Plages, Louis Venne, se dit quelque peu impuissant face à tout ce manège. « Les gens viennent nous voir en pensant que nous avons du pouvoir. Mais les municipalités n’ont pas grand-chose à dire, au bout du compte. Ce ne sont pas des petits conseils municipaux qui vont les empêcher », s’attriste-t-il.
Or, selon M. Venne, il ne faut pas trop s’alarmer. Celui-ci a déjà fait face à un premier projet d’exploration de graphite, dans les années 1990. Celui-ci semble avoir avorté. « On en entend plus parler. À l’époque, ce qu’on m’avait dit, c’est que les Chinois détenaient 80 % du marché. Quand ils ont réduit les prix, l’exploitation ici ne valait plus la peine. »
Toutefois, M. Venne se souvient que les membres de son conseil municipal s’étaient entretenus avec la compagnie. La municipalité avait émis une requête afin qu’il y ait cautionnement. « Il faut jouer le jeu, parce qu’on n’est pas en position de dire non. Nous avons demandé du cautionnement, soit que la compagnie était responsable de prendre soin du lieu une fois l’excavation terminée. Ça, le gouvernement n’a pas le choix de le payer. »
Ce dernier exprime que sa population est divisée sur la question. « Certains défendent des valeurs environnementales, ce qui comprend leurs biens à eux. D’autres, les plus jeunes, ceux qui peuvent encore travailler, y voient une opportunité. Mais, je ne crois pas qu’on puisse en retirer grand-chose, à moins que nous traitions la matière sur place. »
L’élu invite finalement à prendre du recul, défendant que le développement technologique, mêlé à d’autres circonstances, puisse faire virer le vent. « En Israël, les batteries pour voiture électrique qu’ils sont en train de créer seraient beaucoup plus performantes. Celles-ci utiliseraient plutôt le lithium. Nous sommes aussi à l’ère de l’hydrologie, alors qui sait ce que l’avenir nous réserve », nuance-t-il.
Le PDG de la compagnie Lomiko Metals, Paul Gills, informe qu’un deuxième site de forage les intéressait davantage que celui se trouvant aux abords du lac Doré. « Nous disposons de deux endroits où nous menons nos activités de fouille. Celui qui nous interpelle se situe dans le coin du lac Bélanger, au nord-est », confirme M. Gills.
Les raisons soulevées sont que la matière se trouverait plus près de la surface et qu’elle s’avérerait plus pure également. « Là-bas, nous avons percé jusqu’à 150 mètres de profondeur. Nous voulons y mener une étude économique qui prendrait en compte l’écologie, la rentabilité de la mine ainsi que les composantes géologiques du site en question », rapporte-t-il.
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