Des cartes pour faux amérindiens
Isabelle Hachey
1 novembre 2018 
La Presse
La Sûreté du Québec et la 
Gendarmerie royale du Canada enquêtent sur l'utilisation trompeuse de 
cartes autochtones délivrées par un OBNL pour obtenir des exemptions de 
taxes lors de l'achat de marchandises. Le stratagème aurait été 
encouragé par le « grand chef » Guillaume Carle, Gatinois depuis 
longtemps considéré comme un usurpateur de l'identité amérindienne.
Enquête policière
Qu'ont en commun un Belge, un Québécois d'origine italienne 
et un immigré du Cameroun ? Ils ont tous trois été détenteurs d'une 
carte attestant qu'ils étaient autochtones et qu'ils pouvaient, à ce 
titre, se prévaloir de leurs droits ancestraux au Canada !
Cela ressemble peut-être à une mauvaise blague. Ce n'en est pas une. 
Depuis 2005, des centaines, voire des milliers de Québécois ont été 
détenteurs de la carte de la Confédération des peuples autochtones du 
Canada (CPAC) sans avoir officiellement le statut d'Indien. Certains 
d'entre eux l'ont utilisée pour bénéficier d'exemptions de taxes auprès 
de marchands qui la croyaient légitime.
La Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Sûreté du Québec (SQ) et 
l'Agence du revenu du Canada mènent trois enquêtes distinctes sur 
l'utilisation trompeuse de ces cartes aux quatre coins du Québec.
Services aux Autochtones Canada a été contacté par les trois 
organisations et « collabore » à leurs enquêtes, selon le porte-parole 
du Ministère, William Olscamp.
Le grand chef de la Confédération, Guillaume Carle, affirme s'attendre à
 être arrêté sous peu par « les services secrets, la GRC, la SQ ». Il se
 dit prêt à défier les autorités. « Chez nous, le cheval sauvage, c'est 
un cheval libre. Moi, je suis un homme libre de vos lois. Elles ne 
s'appliquent pas à moi », déclare-t-il en entrevue avec La Presse.
Un rapport de la firme KPMG commandé à l'automne 2017 par Services aux 
Autochtones Canada a conclu que des membres de la CPAC s'étaient fait 
livrer des véhicules dans la réserve de Kahnawake, au sud de Montréal.
Au moment de la livraison, les acheteurs ont présenté leur carte aux 
concessionnaires, qui l'ont confondue avec la carte officielle de statut
 d'Indien délivrée par le ministère des Affaires indiennes. Les 
marchands trompés ont alors supprimé les taxes de la facture.
D'autres membres de la CPAC exhibent leur carte à la caisse des 
magasins. « Rona, Trévi, Canadian Tire, Walmart... ça passe partout », 
nous confie un ancien membre, qui a requis l'anonymat par crainte de 
représailles. Il estime avoir économisé de 4000 $ à 5000 $ en taxes sur 
ses achats. « Ça passe à l'hôtel, au restaurant. Il n'y a aucun 
problème, tu donnes ça, merci bonjour ! »
Pour un commerçant, il est facile de se méprendre : la carte plastifiée 
de la CPAC arbore un drapeau canadien et les mots « gouvernement » et 
« Canada ». Au verso, elle stipule faussement que le détenteur « est un 
autochtone au sens de l'article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada
 (1982) et peut se prévaloir des droits autochtones applicables », dont 
la chasse, la pêche et le troc transfrontalier.
La CPAC et son grand chef, Guillaume Carle, ne sont reconnus ni par 
Ottawa ni par l'Assemblée des Premières Nations. La carte de membre, 
vendue 80 $, n'a aucun statut légal.
ENCOURAGER À FRAUDER
« Ce n'est pas une carte d'exemption de taxes, se défend Guillaume 
Carle. Moi, j'ai le mandat de produire une carte d'identité qui ne peut 
être fraudée. Et ma carte ne ressemble pas à celle des Affaires 
indiennes, mais pas pantoute. Zéro. »
D'anciens membres ayant présenté la carte pour éviter de payer les taxes
 de vente soutiennent avoir agi en toute bonne foi. Ils disent avoir été
 incités à le faire par le chef Carle.
« Au début, je la passais, ma carte, admet l'un d'eux. J'étais convaincu
 que c'était bon. T'as un code-barre, t'as un drapeau du Canada... J'ai 
acheté pas mal de stock, du matériel électronique chez Bureau en gros, 
en Ontario. »
Gilles Gagné, ancien grand chef provincial de la CPAC pour le Québec, 
soutient que Guillaume Carle « a toujours dit » aux membres qu'ils 
pourraient bénéficier des avantages consentis aux Indiens inscrits. « Il
 nous a dit que nous, à Beauharnois, on ne paierait plus nos taxes 
municipales parce que c'était notre terre. »
L'épouse de M. Gagné, Lise Brisebois, a fondé la communauté Mikinak de 
Beauharnois en 2016 avec le soutien de la CPAC. Convaincue que ses 
membres pouvaient se prévaloir de droits réservés aux Indiens inscrits, 
elle en a ouvertement discuté dans un journal de la Montérégie - ce qui a
 sans doute contribué à la popularité de Mikinak dans la région. 
Rapidement, 1200 personnes ont adhéré à la communauté.
« Oui, c'était présenté comme cela au départ, admet Gilles Gagné, dont 
l'épouse est morte subitement en juin dernier. Mais quand on s'est rendu
 compte [que c'était faux], on a dit aux gens : "Ne vous servez plus de 
votre carte. C'est de la bullshit, tout ce que [Guillaume Carle] nous 
a dit." »
En novembre 2014, Jocelyn Simoneau, alors chef d'une communauté affiliée
 à la CPAC en Outaouais, a aussi prévenu ses membres que l'utilisation 
des cartes était « illégale ». Dans une lettre, M. Simoneau a écrit 
qu'en assemblée générale, M. Carle avait « encouragé les membres de la 
CPAC à utiliser leurs cartes pour être exemptés de taxes lors d'achats 
de biens. Plusieurs personnes présentes ont même dit l'avoir déjà fait 
et surtout du côté de l'Ontario ».
TESTS D'ADN BIDON
Pour devenir membre de la Confédération, un candidat doit se soumettre à
 un test d'ADN censé mesurer précisément le pourcentage de sang 
autochtone qui coule dans ses veines. « C'est la façon qui est 
encouragée présentement, parce que c'est incontestable », soutient le 
chef Carle.
Chaque test coûte 250 $. Les échantillons de salive sont acheminés à 
Eagle Shadow Technologies, une entreprise de Guillaume Carle. Ces 
échantillons seraient ensuite analysés par le laboratoire Viaguard 
Accu-Metrics de Toronto.
« Il nous a vendu qu'on n'avait pas à avoir d'ascendance pour être 
autochtone. Si tu avais une goutte de sang indien, tu étais un Indien. »
 - Gilles Gagné, ancien grand chef provincial de la CPAC pour le Québec
« On était rendus autochtones, autant que les gars qui vivent sur la 
réserve à côté », ironise Daniel Brabant, ancien membre de la communauté
 Mikinak, située tout près de la réserve de Kahnawake.
M. Brabant a commencé à douter après avoir reçu les résultats de son 
test d'ADN ; il avait 19 % de sang autochtone. Un résultat étonnamment 
élevé, étant donné que d'après son arbre généalogique, ses racines 
indiennes remontaient aux 13e et 14e générations.
Cinq semaines plus tard, la CPAC lui a envoyé un second résultat basé 
sur le même échantillon de salive. Cette fois, il avait 30 % de sang 
autochtone. « C'est là que j'ai décidé de faire passer un test d'ADN à 
Mollie », raconte-t-il.
M. Brabant a prélevé un échantillon de salive de Mollie, son caniche 
royal, et l'a expédié au laboratoire de Toronto en prétendant qu'il 
s'agissait d'un échantillon humain.
Surprise : le laboratoire avait retrouvé des ancêtres de la chienne dans trois bandes amérindiennes du pays !
Il n'a pas été possible d'obtenir un commentaire du président de Viaguard Accu-Metrics, Harvey Tenenbaum.
En juin, le réseau CBC a fait tester l'ADN de trois journalistes par ce 
laboratoire torontois. Ils ont tous trois obtenu exactement le même 
résultat : 12 % de sang abénaquis et 8 % de sang mohawk. Le plus 
étonnant, c'est que deux des journalistes étaient originaires de l'Inde,
 alors que le troisième venait de la Russie.
Qu'à cela ne tienne, le test d'ADN de Viaguard Accu-Metrics est 
« indéniable », a assuré Guillaume Carle en juillet dans une vidéo 
YouTube adressée à ses membres. « Une fois que vous l'avez fait, n'ayez 
crainte, il n'y a personne qui peut vous dire que vous n'êtes pas 
autochtone. »
La nouvelle chef de Mikinak, France Bélanger, continue à recruter des 
membres, à procéder à des tests d'ADN et à distribuer des cartes malgré 
les mises en garde du gouvernement fédéral. « Notre carte était émise 
bien avant la carte de statut indien, prétend-elle. Alors, s'il y a une 
carte qui doit changer, ce sera leur carte et non la nôtre. »
BELGE, ITALIEN, CAMEROUNAIS
Luigi Coretti n'a pas eu à se soumettre à un test d'ADN pour obtenir sa 
carte de la CPAC. En juin 2014, l'homme d'affaires aux racines 
italiennes est devenu « attaché politique » et « commissaire aux mesures
 d'urgence, services secrets et services de police » de la 
Confédération. Plus tard, il a reçu une carte de membre - mais seulement
 à titre honorifique, assure-t-il.
M. Coretti dirigeait autrefois BCIA, une firme spécialisée en sécurité 
qui a obtenu des contrats du gouvernement après avoir offert une carte 
de crédit au ministre Tony Tomassi. Il était en attente de son procès 
pour fraude, fausse déclaration et fabrication de faux lorsqu'il a reçu 
un mandat de Guillaume Carle.
« J'ai débarqué assez vite, raconte M. Coretti. C'était de la frime. 
C'est simple : son but, à lui, c'est de vendre des cartes. Ce n'est pas 
de rendre des services au monde, c'est de vendre des cartes et de 
remplir les poches de Guillaume Carle. »
M. Coretti dit avoir alerté la GRC, la SQ et Revenu Québec. « J'ai tout 
essayé pour arrêter ce gars-là. Mais je pense qu'avec tout ce qui se 
passait avec moi, on ne m'a pas pris au sérieux. » Le procès de 
M. Coretti a finalement avorté en 2016 en raison de délais 
déraisonnables dans le processus judiciaire.
Le chef Carle soutient de son côté que la carte de M. Coretti a été 
produite à son insu par les dirigeants d'une communauté de Gatineau 
affiliée à la CPAC. « Ils sont entrés au bureau et ils ont produit une 
fausse carte à ce gars-là, dit-il. Le dossier a été éliminé et ils ont 
tous été bannis pour ça. »
Le Belge Daniel Lesceux, qui habite au Québec depuis 17 ans, possède 
également une carte de la CPAC stipulant qu'il est un autochtone au sens
 de la loi. « J'ai été adopté par la Confédération, explique-t-il. J'ai 
effectivement une carte de membre, mais ce n'est pas du tout la même que
 celle des autochtones en réserves. »
D'origine camerounaise, le Gatinois Jean Djoufo a aussi reçu une carte 
de la CPAC. En 2007, cet ancien conseiller de Guillaume Carle s'est 
rendu à Paris vêtu d'un costume autochtone pour être décoré, avec son 
chef, par la Ligue universelle du bien public, une obscure organisation 
de franc-maçonnerie chrétienne.
M. Djoufo, qui a depuis claqué la porte de la CPAC, croit que Guillaume 
Carle lui a offert une carte dans l'espoir de s'assurer de son 
indéfectible soutien. « Je ne m'en suis pas servi, assure-t-il. Un 
Indien noir comme moi, c'est un peu fort... »
Son excellence le BAD BOY
La Camaro rouge vif qui se gare devant le casse-croûte est 
ornée d'une plaque décorative : BAD BOY. Un homme en émerge, grand et 
costaud, de longs cheveux noirs noués en queue de cheval. Il porte une 
veste de cuir à franges et un large collier d'os serré autour du cou.
Quelques têtes se tournent quand « Son Excellence Guillaume Carle, Grand
 Chef National des Peuples Autochtones du Canada » fait son entrée au 
restaurant O'Max Déli-Bar de Gatineau. Le titre lui a été décerné « pour
 toujours », il y a quatre ans, par les membres de son organisation 
réunis en assemblée générale.
Guillaume Carle nous a donné rendez-vous dans ce casse-croûte pour 
discuter des enquêtes en cours sur l'utilisation trompeuse de cartes 
émises par son groupe, la Confédération des peuples autochtones du 
Canada (CPAC). Pendant près de trois heures, il répondra à nos 
questions, à commencer par celle-ci : pourquoi « Son Excellence » ?
« Parce que l'ouvrage que j'ai accompli, c'est excellent ! », répond-il 
avec conviction. Qu'on en juge : en 2014, Guillaume Carle a créé « le 
premier gouvernement autochtone sur la planète », sept ans après la 
Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, 
incluant le droit à l'autodétermination interne.
« On est reconnu par le gouvernement du Canada », soutient Guillaume 
Carle en brandissant, en guise de preuve de cette reconnaissance 
officielle, une lettre confirmant... l'incorporation de la CPAC en tant 
qu'organisme à but non lucratif (OBNL) par Industrie Canada.
En réalité, la CPAC, qu'il dirige depuis 2005, n'est que cela : un OBNL.
 Ce n'est ni un gouvernement ni même un groupe autochtone reconnu par 
Ottawa, qui ne lui accorde pas de subvention.
Depuis plus de 10 ans, des représentants des peuples autochtones le 
dénoncent publiquement comme un usurpateur de l'identité amérindienne.
Mais qu'importe leur avis. Qu'importent les enquêtes policières et les 
soupçons de fraude qui planent au-dessus de sa tête : Guillaume Carle 
persiste et signe. « Les peuples autochtones ont le droit de se 
gouverner. Ben, c'est ça qu'on fait ! »
UN STRATAGÈME PAYANT
Aux quatre coins du Québec, les anciens membres de la CPAC sont de plus 
en plus nombreux à trouver que l'ouvrage accompli par Guillaume Carle 
n'est pas si excellent.
Ils sont de plus en plus nombreux à dénoncer un « business » dont le 
seul but est de vendre des cartes de membres, quitte à créer des 
communautés autochtones de toutes pièces. Des communautés sans racine, 
culture ou tradition, qui n'ont d'amérindien que le nom.
Certains ont été alléchés à l'idée de pouvoir bénéficier d'avantages 
consentis aux autochtones pour réparer les injustices du passé. D'autres
 cultivent un réel sentiment d'appartenance envers les Premières 
Nations.
« Lise y croyait tellement, en cet homme-là », soupire Gilles Gagné à 
propos de sa défunte femme, Lise Brisebois, qui a soulevé la colère des 
Mohawks de Kahnawake, en 2016, en créant la communauté Mikinak dans la 
région voisine de Beauharnois, au sud de Montréal.
Pendant 30 ans, Lise Brisebois avait cherché à faire reconnaître son 
identité amérindienne. « Son rêve, c'était que les autochtones hors 
réserve aient les mêmes droits que les autres, dit Gilles Gagné. C'est 
pour cela qu'elle se battait. Guillaume Carle prétendait qu'il se 
battait pour ça, lui aussi. »
Quand Gilles Gagné et sa femme ont compris que ce n'était pas le cas, 
ils ont été « bannis » de la CPAC - comme tous ceux qui avaient osé, 
avant eux, contester le grand chef.
Lise Brisebois, 58 ans, a succombé à un anévrisme en juin. « Ma fille, 
je pense qu'elle a eu trop de pression, regrette sa mère, Yvonne Simon. 
On s'est fait avoir. Au début, on était membre de l'Alliance autochtone 
du Québec (AAQ). Quand Guillaume a créé la Confédération, on avait bien 
confiance en lui. On a embarqué. »
Guillaume Carle a fait son entrée sur la scène politique en prenant la 
tête de l'AAQ en 2003. Il a été éjecté de l'organisme deux ans plus 
tard, accusé par ses détracteurs d'avoir été élu après avoir menti sur 
ses qualifications et d'avoir accordé de lucratifs contrats à sa propre 
boîte informatique, Night Hawk Technologies.
La querelle s'est soldée par une série de poursuites et de 
contre-poursuites judiciaires acrimonieuses. Elle s'est finalement 
réglée à l'amiable.
Après s'être accroché un temps à son poste de grand chef de l'AAQ, 
Guillaume Carle a fini par lâcher prise et fonder une organisation 
rivale : la CPAC.
Désormais, il était seul maître à bord.
UN « GOUROU »
Comme d'autres, Roger Marenger a quitté l'AAQ pour suivre Guillaume 
Carle, homme charismatique au verbe facile qui promettait de « brasser 
la cage » afin de revendiquer les droits des autochtones hors réserve de
 la province.
Depuis, M. Marenger a déchanté. « Il est l'unique maître, déplore cet 
ancien directeur de la CPAC. Quand ses dirigeants ne lui donnent pas 
carte blanche dans la gestion de l'argent de la communauté, il les met 
dehors et en recrute de nouveaux. »
Le taux de roulement est en effet élevé à la CPAC, comme le nombre de 
communautés qui se sont dissociées de l'organisme. Au fil des ans, 
Guillaume Carle s'est fait un nombre impressionnant d'ennemis.
« C'est une dictature abusive », dénonce Roger Fleury, ancien chef 
provincial de la CPAC, qui a entamé une poursuite judiciaire contre 
Guillaume Carle pour obtenir une reddition de comptes.
« L'argent de la CPAC, c'est son argent à lui. Il ne rend compte à 
personne. C'est strictement un système de gourou. » - Jean Djoufo, 
ancien conseiller de Guillaume Carle
Plusieurs font le même parallèle. « C'est un gourou de la manipulation. 
C'est un pro. Il est bon », dénonce Jocelyn Simoneau, ex-chef d'une 
communauté de Lac-Simon, en Outaouais. « Quand il voit que tu es faible,
 il profite de la situation pour aller chercher des sous. »
Élu grand chef « à perpétuité », Guillaume Carle ne tolère pas la 
contestation. Il se réserve un « droit de veto absolu » sur toutes les 
décisions de son conseil d'administration. Ses membres doivent se lever 
pour démontrer leur respect lorsqu'il entre dans une pièce et qu'il en 
sort.
« Ce genre de preacher, on voit ça aux États-Unis, s'étonne Gilles 
Gagné, qui a succédé à M. Fleury comme chef provincial de la CPAC. Pour 
moi, c'est une secte. »
Attablé au casse-croûte de Gatineau, Guillaume Carle dénigre ceux qui 
lui ont tourné le dos, les traitant de menteurs, de fraudeurs et 
d'hypocrites. Il estime avoir largement mérité son « pouvoir de veto 
absolu », contraire aux meilleures pratiques de gouvernance. « Ce sont 
vos règles à vous autres, les Blancs. »
AUTOCHTONE OU PAS ?
Il se fait appeler Ouchtogan Migizi, « tête d'aigle » en langue 
algonquine. Il se dit « sage national ». Sa coiffe de grand chef, unique
 au pays, a été fabriquée spécialement pour lui par des « aînés du 
Canada ». Lesquels ? Il refuse de nous le dévoiler, sous prétexte que 
nous ne lui avons pas offert une pincée de tabac. « Nos traditions, 
c'est que pour recevoir quelque chose, vous devez savoir donner. »
Est-il seulement autochtone ? « Guillaume Carle a prouvé que, 
génétiquement, c'est un Indien », assure-t-il en parlant de lui à la 
troisième personne. Quel est le résultat du test d'ADN qui confirme 
cette preuve irréfutable ? « J'ai pas le droit de vous le dire », 
décrète-t-il.
Il raconte d'abord que son père vient de Maniwaki et que « les Carle 
restent encore sur la réserve ». Plus tard, il se contredit: sa famille 
« n'aurait jamais eu le droit de rester » dans cette réserve algonquine.
À La Presse, le Gatinois de 58 ans soutient être mohawk par sa mère, dont la famille provient de la région d'Oka. Au National Post,
 il s'est plutôt décrit en 2016 comme un « Warrior d'Akwesasne », une 
réserve mohawk à cheval sur les frontières du Québec, de l'Ontario et 
des États-Unis.
En 2007, l'historien Carl Beaulieu a fait des recherches sur les 
ancêtres paternels et maternels de Guillaume Carle dans le cadre de la 
poursuite qui opposait ce dernier à l'Alliance autochtone du Québec. 
L'historien lui a trouvé des ascendances françaises, belges, espagnoles 
et anglaises. Mais pas le moindre ancêtre autochtone.
Guillaume Carle a poursuivi M. Beaulieu en diffamation. Bien que la 
poursuite ait été réglée à l'amiable par une entente confidentielle, il 
affirme aujourd'hui l'avoir « gagnée » et avoir prouvé par le fait même 
être « un Indien ».
UN DIPLÔME 14 CARATS
Son curriculum vitae fait état d'un doctorat en philosophie obtenu en 
2003 à l'Université Ashford, aux États-Unis. Il précise en entrevue 
qu'il s'agit en fait d'un « PhD » en science informatique, qu'il a suivi
 ses cours par vidéoconférence et qu'il lui a fallu cinq ans pour 
terminer son doctorat.
Interrogé à ce sujet au tribunal, en avril 2005, Guillaume Carle avait 
pourtant prétendu qu'il n'avait pas eu besoin de suivre de cours pour 
obtenir ses diplômes parce qu'il était un savant.
« Mon diplôme, il y a une étampe 14 carats bord en bord. C'est un vrai 
diplôme universitaire », maintient aujourd'hui Guillaume Carle.
Le sujet de sa thèse ? C'est plutôt une invention, celle d'un « rack à 
modems » permettant de combiner plusieurs appareils afin d'en augmenter 
la puissance. La thèse a été publiée « là-bas, aux États-Unis », 
soutient-il, mais il n'est désormais plus possible de la consulter...
« Tout est faux de lui. Tout, tout est faux », s'exaspère l'ancien chef 
provincial Gilles Gagné. « Le rêve de ma femme, avant de mourir, c'était
 de lui couper sa couette ! »
Avant que nous quittions le casse-croûte, Guillaume Carle nous met en 
garde : « Je suis porteur du calumet sacré. » À ce titre, explique-t-il 
gravement, il ne peut pas mentir. « Je ne veux pas vous faire 
peur [...], mais le monde qui écrive en mal sur nous, ils vont amener ça
 de l'autre côté avec eux autres. »
L'ampleur du stratagème
Dans un rapport d'enquête remis le 26 juillet au 
gouvernement fédéral, la firme KPMG a levé le voile sur le stratagème 
permettant de bénéficier d'exemptions de taxes en se faisant livrer des 
marchandises dans la réserve mohawk de Kahnawake. Voici, en chiffres, ce
 que la firme a découvert.
7 TYPES DE CARTES
Le rapport d'enquête de KPMG a établi que des cartes délivrées par sept 
organisations autochtones avaient été présentées pour obtenir des 
allègements fiscaux sur l'achat de marchandises.
28 RAPPORTS D'INCIDENTS
KPMG a révisé 28 rapports d'incidents survenus dans la réserve mohawk de
 Kahnawake, au sud de Montréal. Les rapports ont été fournis par les 
Peacekeepers, qui ont saisi plus de 100 cartes sur leur territoire 
depuis la fin de 2016.
24 VÉHICULES
Parmi les 28 rapports étudiés, 24 concernaient la livraison de véhicules
 dans la réserve mohawk par des concessionnaires de la région de 
Montréal. Les acheteurs provenaient d'aussi loin que le nord du Québec 
et la péninsule gaspésienne.
1 BATEAU
Un individu s'est fait livrer un bateau à Kahnawake. Comme avec les 
véhicules, les Peacekeepers ont exigé qu'il soit retourné au vendeur et 
qu'une copie de l'annulation de la vente leur soit acheminée. Un refus 
de se conformer aurait entraîné une accusation de fraude.
DE 40 $ À 1000 $
Les individus interceptés à Kahnawake ont payé entre 40 $ et 1000 $ pour
 obtenir leur carte de membre. Plusieurs d'entre eux semblaient croire 
qu'ils avaient bel et bien les mêmes droits que les Indiens statués, qui
 n'ont pas à payer pour leur carte.
Des autochtones autoproclamés
La Confédération des peuples autochtones du Canada regroupe 
des communautés non reconnues, parfois même créées de toutes pièces par 
Guillaume Carle. Plusieurs d'entre elles finissent par se dissocier du 
grand chef au terme de conflits hargneux. En voici quatre.
CHIBOUGAMAU NORD-DU-QUÉBEC
Depuis deux ans, quelque 600 résidants de la région de Chibougamau ont 
payé 250 $ pour subir un test d'ADN. Ils ont envoyé des échantillons de 
salive à l'entreprise Eagle Shadow Technologies, propriété de Guillaume 
Carle, qui leur a trouvé des ancêtres autochtones. Depuis, ils forment 
une communauté. « Les tests d'ADN, j'y crois à 100 % », assure leur 
chef, Luc Michaud. Il y croit, même si les parents d'un membre dont le 
test a été « positif » sont des... immigrants irlandais ! « On ne sait 
pas s'il y a eu un découchage », avance M. Michaud, qui espère négocier 
avec le gouvernement pour étendre le territoire de chasse et de pêche de
 ses membres.
LAC-SIMON OUTAOUAIS
En 2013, Guillaume Carle a pris contact avec 
Jocelyn Simoneau pour qu'il
 fonde la communauté Anishinabek de la Petite-Nation. « C'est lui qui 
m'a incité à faire cela. Il disait que ça donnerait de la force à sa 
Confédération, mais on s'est dissociés quand on a vu qu'il y avait des 
choses malhonnêtes », raconte-t-il. Guillaume Carle le lui a bien rendu 
en plaçant la communauté sous tutelle, en octobre 2014, après 
l'arrestation de Simoneau pour extorsion, menace et prêts usuraires. 
L'homme, qui prétendait représenter les Algonquins hors réserve de la 
région, est né à Montréal et a grandi en Gaspésie.
SAGUENAY SAGUENAY
« Guillaume Carle n'est pas un véritable autochtone, car il parle avec 
la langue fourchue du serpent. Tout ce qu'il a pu dire face à notre 
organisation est un tissu de mensonges », dénonçait le chef de la 
coopérative Kitchisaga, Serge Lavoie, au 
Quotidien de Saguenay, 
le 14 février 2007. « C'est une période de ma vie que j'essaie de 
liquider », confie-t-il aujourd'hui. « Je l'avais suivi quand il avait 
quitté l'Alliance autochtone du Québec, parce qu'il était plus 
revendicateur. En fin de compte, tout ce qu'il a fait, c'est discréditer
 les autochtones. Il a un charisme extraordinaire, mais c'est un vendeur
 de nuages. »
FORT-COULONGE OUTAOUAIS
À titre d'administrateur de la CPAC, Roger Fleury s'attendait à 
connaître les états financiers de l'organisme. Il nage toujours en plein
 mystère. « C'est Guillaume Carle qui gère l'argent et la façon qu'il le
 dépense, ce n'est pas tes affaires. Quand je lui ai posé des questions,
 il était vraiment offusqué », raconte l'ex-chef des Algonquins hors 
réserve de Fort-Coulonge. M. Fleury s'est adressé aux tribunaux pour 
obtenir une reddition de comptes. « Guillaume dit qu'il a 
50 000 membres. [À 80 $ la carte], on parle d'un budget de 4 millions. 
Je veux savoir où est l'argent parce que je suis imputable. Je ne peux 
pas fermer les yeux. »
*****************
Le grand chef de la Confédération des peuples autochtones du Canada, Guillaume Carle
 Le Domaine des Quatre Saisons, à Saint-Alexandre-de-Kamouraska.
Le Pontiac Lodge, un pavillon de chasse et pêche en Outaouais.
Guillaume Carle dans le collimateur de l'AMF
 
Isabelle Hachey
6 novembre 2018
La Presse 
Le grand chef de la Confédération
 des peuples autochtones du Canada, Guillaume Carle, a berné ses propres
 membres en les persuadant d'investir dans une série de projets fictifs 
ou voués à l'échec. L'Autorité des marchés financiers a ouvert une 
enquête.
Des parts qui s'envolent en fumée
Les bâtiments tombaient en ruine, mais le site était 
magnifique et le potentiel touristique, alléchant. Un chalet d'accueil 
au bord d'un lac cristallin, un motel, un restaurant, des dizaines de 
kilomètres de sentiers en pleine nature : le Domaine des Quatre Saisons,
 à Saint-Alexandre-de-Kamouraska, avait tout pour devenir le projet 
phare de la Confédération des peuples autochtones du Canada (CPAC).
Daniel Brabant y a cru. « Le plan d'affaires, c'était de rendre ce 
site-là autochtone. De faire venir des gens d'Europe. Eux, quand il y a 
des plumes, ils deviennent fous comme de la marde ! Cela aurait été 
rentable d'un point de vue touristique. »
Il fallait bien sûr rénover les bâtiments, planter des tipis, mettre 
sur pied un centre d'interprétation autochtone. Le plan était certes 
ambitieux, mais Daniel Brabant avait confiance : il a acheté 83 parts 
dans le projet, à 120 $ chacune.
Il a déchanté quand, du jour au lendemain, son investissement de près de 10 000 $ s'est envolé en fumée.
Le grand chef de la CPAC, Guillaume Carle, avait décrété que Daniel 
Brabant n'avait plus droit à ses parts puisqu'il avait été « banni » de 
la Confédération après lui avoir manqué de respect. « C'est évident ! Tu
 n'attaques pas le grand chef et après ça, t'as tout encore. C'est 
certain ! », s'exclame Guillaume Carle en entrevue avec 
La Presse.
Cette logique pourrait sembler discutable aux yeux des enquêteurs de l'
Autorité des marchés financiers (AMF). 
La Presse a
 appris de sources fiables que l'organisme avait ouvert une enquête sur 
les parts vendues par la CPAC dans divers projets, dont celui du Domaine
 des Quatre Saisons.
Guillaume Carle n'est pas inscrit auprès de l'AMF à titre de courtier en valeurs mobilières, comme l'exige la loi.
« Il disait qu'à 120 $ l'action, on n'avait pas besoin de déposer un
 prospectus. Ce n'était pas vrai. » - Gilles Gagné, ancien chef de la 
division québécoise de la CPAC
140 INVESTISSEURS DE MIKINAK
Gilles Gagné et sa défunte femme, 
Lise Brisebois « 
Canard Blanc », ont 
acheté cinq parts. « Ça nous a coûté 600 $. On a surtout investi un an 
et demi de notre vie dans ce projet. On y allait toutes les fins de 
semaine. J'ai mis 35 000 kilomètres sur mon char rien que pour ça. »
Mandatée par le chef Carle pour gérer le projet, Lise Brisebois a vendu 
des parts à 140 membres de Mikinak, une communauté qu'elle avait créée 
pour représenter les autochtones hors réserve de la Montérégie. Elle a 
récolté 60 000 $ auprès de ses membres. « On a tout investi dans le 
projet, dit M. Gagné. On a refait la plomberie et l'électricité. On a 
sablé, on a verni les chalets. On a travaillé ! »
Au cours de l'année 2017, les relations se sont envenimées au sein de la
 CPAC. Les dirigeants de Mikinak se sont mis à soupçonner Guillaume 
Carle de faire subir des tests d'ADN bidon à leurs membres, puis de leur
 vendre des cartes d'identité en les encourageant à s'en servir pour se 
prévaloir de droits réservés aux Indiens inscrits. Deux enquêtes policières, de la 
Sûreté du Québec et de la 
Gendarmerie royale du Canada, sont en cours à ce sujet.
Le conflit qui couvait a éclaté au grand jour le 9 septembre 2017, quand
 les dirigeants de Mikinak ont demandé la démission de Guillaume Carle 
en assemblée générale. Le grand chef a interprété le geste comme une 
tentative de « coup d'État ». Selon lui, la sanction à imposer aux 
renégats était claire : « On oublie ça, c'est fini, merci, bye ! »
« TU N'AURAS JAMAIS UNE CENNE »
« 
Il nous a rayés », constate 
René Lavigne, un membre qui a investi 
1200 $ dans le projet du Domaine des Quatre Saisons et a passé une 
semaine à nettoyer le site à l'été 2017. « J'ai essayé de récupérer mon 
argent. Il m'a dit : "Tu n'auras jamais une cenne, oublie ça, je t'ai 
mis dehors avec la gang de pourris, ça vient de s'éteindre." »
Jean Guillemet a payé environ 1000 $ pour faire partie de l'aventure.
« Guillaume Carle nous a exclus parce qu'on a voulu le destituer. On
 lui a dit que ses tests d'ADN, c'était de la frime. C'était juste pour 
faire de l'argent. Il nous a dit qu'on n'avait plus de parts. » - Jean 
Guillemet
Guillaume Carle accuse de son côté Gilles Gagné et Lise Brisebois de ne 
pas lui avoir remis l'argent récolté pour le projet ni la liste des 
actionnaires. « Je suis le grand chef, d'accord, mais ce sont eux qui 
s'occupaient du projet. Ce sont eux qui ont volé le monde, pas moi ! »
Les actionnaires qui ne se sont pas rebellés et qui ont reçu des 
certificats signés de sa main n'ont pas à s'inquiéter : leurs parts sont
 parfaitement valides, assure le grand chef. Le projet, au point mort, 
sera relancé sous peu, promet-il.
Guillaume Carle a créé une société en commandite, la Confédération des 
peuples autochtones des Amériques, lui permettant selon lui de vendre 
des parts sans avoir à s'inscrire auprès de l'AMF. « La structure a été 
légalement créée. Il n'y a pas eu de vol, il n'y a pas eu de fraude. »
Il soutient qu'un notaire, John Lapierre, a d'ailleurs confirmé la légalité du projet d'investissement.
« Non, ça, ces affaires-là, ce n'est pas moi », proteste le notaire de 
Gatineau, qui soutient avoir seulement travaillé au renouvellement du 
bail du domaine, situé sur des terres publiques. « Moi, je n'émettais 
pas les certificats, pas du tout. C'est tout à l'interne, c'est tout eux
 qui faisaient ça. »
MYSTÉRIEUSE ACQUISITION
Guillaume Carle affirme que le 
Domaine des Quatre Saisons - qui vaut 
selon lui « quatre, cinq millions minimum » - a été cédé à la CPAC, pour
 la somme symbolique d'un dollar, par une communauté religieuse désirant
 soutenir les autochtones.
Des zones d'ombre subsistent toutefois en ce qui concerne ce généreux don.
Le domaine appartenait à l'
Ordre du Coeur Immaculé, une communauté 
religieuse installée à L'Avenir, près de Drummondville. Son fondateur, 
le père Yves-Marie Blais, avait été exclu de l'Église catholique. Ses 
adeptes croyaient aux apparitions et aux phénomènes apocalyptiques. Ils 
avaient acquis le Domaine des Quatre Saisons pour 57 000 $, en 1995, 
afin de s'y réfugier lorsque surviendrait le grand déluge.
Le cataclysme n'a pas eu lieu. « Je ne sais pas pourquoi. Je sais qu'on a
 beaucoup prié pour ça », souffle soeur Marie-Pierrette Rioux, 
l'ancienne directrice du domaine, où elle a vécu pendant près de 20 ans.
La mort du père Blais, en 2007, a sonné le glas de l'
Ordre du Coeur 
Immaculé. « Quand le maître meurt, ce n'est plus la même chose, explique
 soeur Marie-Pierrette. On n'était pas assez formés pour faire marcher 
un si gros domaine. Les soeurs ne voulaient pas s'occuper de ça. »
C'est le « frère Antoine » qui a hérité du Domaine des Quatre Saisons et
 des bâtiments de L'Avenir, évalués par la municipalité à deux millions 
de dollars. De son vrai nom André Messier, cet ancien cultivateur était 
le comptable de l'Ordre.
Devenu président de la Société Reine de la Paix, qui gérait les avoirs 
de l'Ordre, André Messier s'est associé à Daniel Poulin, un 
« inventeur » qui a écopé de six mois de prison, en 2016, pour avoir 
berné des investisseurs.
M. Poulin affirme qu'il projetait de convertir les bâtiments de L'Avenir
 en centre d'hébergement pour femmes autochtones en détresse. C'est à ce
 moment-là, dit-il, que le grand chef de la CPAC serait entré en jeu.
« Guillaume disait qu'il connaissait les groupes de femmes 
autochtones désespérées. Nous, on a vu une opportunité à ce qu'il soit 
là, mais, finalement, cela s'est retourné contre nous. » - Daniel Poulin
Guillaume Carle soutient que les administrateurs de la 
Société Reine de 
la Paix ont adopté une résolution pour que le 
Domaine des Quatre Saisons
 « soit donné dans l'intérêt du peuple autochtone ». Il affirme avoir 
intégré le conseil d'administration de la Société par la suite. « Quand 
je suis rentré, la résolution avait déjà été passée. »
Or, la transaction a été décidée par Guillaume Carle lui-même... en 
l'absence des administrateurs de la Société, si l'on en croit le 
procès-verbal d'une assemblée générale extraordinaire tenue le 
16 septembre 2016 au domicile du grand chef, à Gatineau.
Outre Guillaume Carle, trois personnes ont participé à cette assemblée, toutes liées à la CPAC.
C'est ainsi qu'en leur absence, André Messier et Daniel Poulin ont été 
suspendus de leurs fonctions ; Guillaume Carle a pris la tête de la 
Société ; les signatures des comptes bancaires ont été modifiées en 
faveur de M. Carle ; et le Domaine des Quatre Saisons a été transféré 
« au soin de la CPAC ».
Projets fictifs, investisseurs floués
La Confédération des peuples autochtones du Canada (CPAC) a 
berné ses propres membres en les persuadant d'investir dans une série de
 projets fictifs ou voués à l'échec.
Notre enquête révèle que le grand chef de la CPAC, Guillaume Carle, a 
vendu des parts dans une raffinerie pétrolière qui n'existait pas ainsi 
que dans une pourvoirie dont il n'était pas propriétaire.
L'Autorité des marchés financiers (AMF) enquête sur le stratagème 
utilisé depuis plus de 10 ans par Guillaume Carle, qui n'est pas inscrit
 auprès de l'organisme à titre de courtier en valeurs mobilières, 
s'exposant ainsi à des sanctions pénales.
Des sources indiquent que l'AMF a ouvert une enquête en septembre 2017 
après avoir reçu une plainte d'investisseurs floués. L'AMF n'est pas en 
mesure de confirmer ces informations, pour des raisons de 
confidentialité.
PUITS DE PÉTROLE FICTIF
En 2006, la CPAC a vendu des parts dans un projet pétrolier fictif en 
Gaspésie. « M. Carle disait qu'une tour de forage serait démantelée aux 
États-Unis pour être montée à Matane », dit Ginette Racette, alors 
cheffe de la communauté autochtone Bedeque de Gaspésie. « Il disait 
qu'on allait en retirer des redevances. »
Une dizaine de membres de la communauté ont acheté des parts à 120 $ 
chacune, raconte Mme Racette, qui en a elle-même acheté une avant d'être
 prise de doutes.
« J'ai pris rendez-vous avec la mairesse de Matane. Elle a manqué 
tomber en bas de sa chaise. Elle m'a dit : "Vous êtes en train de me 
dire qu'il y aura une tour de forage de pétrole à Matane et je ne suis 
pas au courant ?" C'était absolument faux. » - Ginette Racette, 
ex-cheffe de la communauté autochtone Bedeque
L'ex-mairesse de Matane Linda Cormier a confirmé la tenue de cette rencontre.
Mme Racette dit avoir intercepté les chèques de ses membres avant qu'ils
 ne soient encaissés. Elle a écrit une lettre de démission à la CPAC, 
dont elle était secrétaire-trésorière. « Il n'y avait pas moyen de voir 
les livres, dit-elle. Je suis revenue dans ma communauté, on a fait une 
réunion d'urgence et on a décidé de se retirer » de la CPAC.
Guillaume Carle soutient n'avoir jamais entendu parler d'un projet 
pétrolier à Matane. « Je suis bouche bée, parce que je n'ai aucune idée 
de ce dont vous parlez », a-t-il répondu lorsque 
La Presse l'a interrogé à ce sujet. « Comment voulez-vous que je vende des parts, je n'ai rien. »
Rock Paradis, chef de 
la communauté Sa'gewey de Gaspésie, se souvient 
quant à lui du projet pétrolier de Matane. Plusieurs membres de sa 
communauté - toujours affiliée à la CPAC - avaient acheté des parts, qui
 ne sont pas perdues, assure-t-il. « M. Carle a transféré les parts que 
le monde a achetées au Domaine Quatre Saisons », le plus récent projet 
de la CPAC, à Saint-Alexandre-de-Kamouraska.
Norbert Tricaud, l'avocat français de la CPAC, se souvient également des
 ambitions pétrolières de l'organisme. À l'époque, Guillaume Carle 
négociait avec Huu Duc Dinh, PDG américano-vietnamien d'Ati Petroleum. 
Ce dernier se prétendait « expert dans le domaine minier et pétrolier » 
et « s'intéressait notamment à la région de Matane », a raconté Me 
Tricaud joint à Paris.
« À ma connaissance, ce n'est pas allé plus loin », ajoute l'avocat, qui
 se méfiait de Huu Duc Dinh. « Pour moi, il n'était pas un interlocuteur
 fiable et compétent. [...] Malheureusement, l'histoire m'a donné 
raison. »
En effet, Ati Petroleum n'était vraisemblablement qu'une coquille vide, 
créée pour escroquer les gens. « Plusieurs milliers de petits porteurs, 
en France et à l'étranger, auraient acquis des promesses d'action 
complètement fictive de cette société cotée à la Bourse de Paris depuis 
le mois de juillet », a rapporté 
Le Parisien en novembre 2007.
Huu Duc Dinh est mort peu de temps après. « Il est mort parce qu'il a 
menti » après avoir fumé le calumet sacré, avance Guillaume Carle, qui 
admet avoir signé « une entente de développement » avec l'homme 
d'affaires pour l'exploitation de « six ou sept puits d'huile dans 
l'océan ».
« C'ÉTAIT DE LA FRIME »
À la même époque, Guillaume Carle a vendu des parts du 
Pontiac Lodge, un
 pavillon de chasse et pêche en Outaouais. Or, la CPAC n'était 
propriétaire ni de la pourvoirie ni des terres publiques sur lesquelles 
elle est située, au coeur de la zone d'exploitation contrôlée (ZEC) 
Saint-Patrice.
Yvonne Simon, ex-membre d'une communauté de l'Outaouais, a acheté 
deux parts à 120 $ chacune. Guillaume Carle « disait que c'était à nous,
 que ça nous appartenait, se rappelle-t-elle. Un jour, en réunion, je 
lui ai demandé où ça s'en allait, le Pontiac Lodge. Il m'a revirée ; je 
n'avais pas d'affaire à lui demander cela ».
Ancien conseiller de la CPAC, le Gatinois Jean Djoufo a accompagné 
Guillaume Carle au Lac-Saint-Jean pour y vendre des parts du Pontiac 
Lodge. « Je suis allé vanter les mérites de l'opération avant de savoir 
que c'était de la frime. » Présumant que le plan d'affaires était en 
règle, il a fait miroiter aux membres d'importants dividendes. « J'y 
croyais, moi aussi. »
Après tout, Jean Djoufo avait vu défiler des investisseurs étrangers, 
dont Huu Duc Dinh, au Pontiac Lodge. Guillaume Carle les y avait invités
 pour négocier la vente de bois, de pétrole et de métaux précieux, se 
rappelle Jean Djoufo. « C'était de la frime, bien sûr. »
Huu Duc Dinh était particulièrement intéressé à la forêt de la ZEC 
Saint-Patrice, croyant pouvoir y récolter le bois en collaboration avec 
la CPAC. Selon Jean Djoufo, Guillaume Carle prétendait que « toutes les 
terres canadiennes appartenaient aux autochtones ».
« TACTIQUE DE GANGSTERS »
Le propriétaire du Pontiac Lodge, Edward Sullivan, explique que 
Guillaume Carle lui a offert d'acheter son pavillon avant de tomber à 
court d'argent. « Il devait acheter l'entreprise en deux ans. Il a versé
 une mise de fonds de 40 000 $, il est resté ici trois mois et quand il a
 manqué d'argent, il est parti, raconte-t-il. Nous l'avons chassé. »
Guillaume Carle affirme qu'il a plutôt été forcé de faire une croix sur 
le projet en 2008, après que le tribunal lui a interdit de se rendre 
dans les environs du Pontiac Lodge. Il était alors accusé d'avoir menacé
 un villégiateur de brûler et de raser son chalet à l'aide d'un 
bulldozer.
« La juge a dit : "Tant que ce n'est pas réglé, j'interdis à Guillaume 
Carle de retourner là", ça fait que le projet a planté. Cela a pris 
trois ans à régler l'affaire, il me restait 12 mois pour payer la 
facture totale, ça fait qu'on a perdu tout notre argent », dit le grand 
chef.
Guillaume Carle a été acquitté des accusations de menaces qui pesaient sur lui dans cette affaire.
Le propriétaire du chalet, Joe Erlichman, affirmait avoir reçu l'appel 
d'un homme qui se présentait comme le grand chef des autochtones du 
Canada, en mai 2008. Guillaume Carle lui aurait réclamé un droit de 
passage de 120 $, parce que son chalet était situé en terre autochtone. 
Il l'aurait menacé de lui envoyer « 30 Warriors » pour tout brûler.
« Je lui ai répondu : "Tu peux les envoyer, mais je ne paierai pas", se 
rappelle M. Erlichman, professeur de biologie et de neurosciences à 
l'Université St. Lawrence, dans l'État de New York. Intimider les gens 
pour obtenir de l'argent, c'est une tactique de gangsters de la vieille 
école. Je n'achète pas ça. »
 

 
                 
Métis Autoproclamés
                 
                 
                                      
De vrais contrats pour un faux autochtone
Le
 « grand chef » Guillaume Carle, considéré comme un usurpateur de 
l’identité amérindienne, a obtenu des dizaines de contrats du 
gouvernement fédéral en vertu d’un programme d’aide aux entreprises 
autochtones.
La suite du reportage d’Isabelle Hachey sur les Métis autoproclamés du Québec
Isabelle Hachey
17 février 2019 
                                            
Profitant
 d’un programme d’aide aux entreprises autochtones, le grand chef 
autoproclamé Guillaume Carle s’est vu accorder des dizaines de contrats 
d’approvisionnement du gouvernement fédéral… sans être reconnu comme un 
autochtone par ce même gouvernement.
 
Depuis
 2001, 
Night Hawk Technologies, entreprise spécialisée en fournitures de
 bureau appartenant à Guillaume Carle, a reçu une centaine de contrats 
de ministères fédéraux, d’une valeur totale de 7,5 millions de dollars, 
révèle une compilation faite par 
La Presse.
Au
 moins 29 % de ces contrats ont été accordés à Night Hawk Technologies 
par l’entremise d’un programme d’accès à des marchés réservés aux 
entreprises autochtones. Pourtant, Guillaume Carle n’est pas inscrit 
comme un Indien du Canada et n’appartient à aucune organisation 
autochtone reconnue au pays.
En outre, des ministères ont continué
 à accorder des contrats à Night Hawk Technologies malgré les soupçons 
qui planent au-dessus de la Confédération des peuples autochtones du 
Canada (CPAC), organisme à but non lucratif dont Guillaume Carle se dit 
le grand chef.
Dès l’automne 2017, en effet, 
Services aux 
Autochtones Canada a commandé un rapport sur l’utilisation trompeuse de 
cartes de membres délivrées par la CPAC.
Le
 rapport de la firme KPMG a conclu en juillet 2018 que ces cartes 
avaient été utilisées pour bénéficier d’exemptions de taxes lors de 
l’achat de marchandises, comme des véhicules et des électroménagers. 
Semblables aux cartes officielles de statut d’Indien, les cartes de la 
CPAC n’ont aucun statut légal.
Services aux Autochtones Canada 
affirme collaborer avec la Sûreté du Québec et Revenu Canada, qui ont 
ouvert des enquêtes distinctes sur ce stratagème, comme l’a rapporté 
La Presse le 1
er novembre 2018.
Une autodéclaration
Services
 aux Autochtones Canada tient un « répertoire des entreprises 
autochtones », dans lequel figure Night Hawk Technologies. Les 
fournisseurs doivent être inscrits à ce répertoire pour avoir accès à 
des marchés réservés dans le cadre de la 
Stratégie d’approvisionnement 
auprès des entreprises autochtones (SAEA).
« Pendant des années, 
j’ai été celui qui fournissait des services professionnels au 
gouvernement. On livre tous les papiers, les crayons, les chaises, les 
tables au gouvernement. »
— Guillaume Carle à La Presse en octobre
Pour
 s’inscrire au répertoire, les fournisseurs doivent remplir une 
« autodéclaration » précisant qu’ils sont bel et bien autochtones. Le 
Ministère peut ensuite procéder à des « vérifications pour s’assurer que
 les entreprises qui se déclarent autochtones répondent bien aux 
critères de la SAEA », explique William Olscamp, porte-parole de 
Services aux Autochtones Canada.
Selon le Ministère, Night Hawk 
Technologies a fait l’objet d’une telle vérification en juillet 2018. 
Pour prouver son admissibilité au programme, Guillaume Carle a présenté 
une carte de membre de l’Alliance autochtone du Québec (AAQ), organisme 
reconnu par le gouvernement fédéral. La carte « a été authentifiée par 
l’organisme émetteur dans le cadre du processus de vérification », 
précise M. Olscamp.
Chassé de l’Alliance autochtone du Québec
Guillaume Carle n’est pourtant pas membre de l’AAQ, assure la porte-parole de cet organisme, Émilie Brousseau.
 « Il est possible qu’il ait en sa possession une vieille carte de l’Alliance, mais il n’est pas dans notre base de données. »
En
 fait, Guillaume Carle a été chassé de l’AAQ après un passage houleux 
comme chef de cet organisme en 2004-2005. Ses successeurs l’ont accusé 
d’avoir menti sur ses qualifications pour prendre les commandes de 
l’AAQ – et d’en avoir profité pour vider ses coffres. L’affaire s’est 
retrouvée devant les tribunaux avant d’être réglée à l’amiable.
En entrevue, Guillaume Carle soutient que « des investigations, on en a passé en masse ». 
« Moi, c’est assez dur de dire que je ne suis pas indien. »
— Guillaume Carle
M.
 Carle dit avoir prouvé en cour qu’il était autochtone, citant pour 
preuve une poursuite en diffamation qu’il a intentée et qui s’est soldée
 par une entente confidentielle.
Guillaume Carle prétend que de 
toute façon, la notion d’Indien statué « n’existe plus » depuis que la 
Cour suprême a décidé, en avril 2016, que les Métis et les Indiens non 
inscrits étaient des « Indiens » au sens de la loi.
Or, en dépit 
de ce jugement, un entrepreneur doit toujours prouver son statut 
d’Indien inscrit ou son appartenance à une communauté autochtone 
reconnue afin d’avoir accès aux marchés réservés des ministères 
fédéraux.
Des contrats malgré une enquête
Malgré
 la tenue d’une enquête de la firme KPMG sur l’utilisation de cartes de 
membre de la CPAC pour bénéficier d’exemptions de taxes, des ministères 
ont continué d’accorder des contrats à Night Hawk Technologies.
Services
 aux Autochtones Canada a notamment accordé un contrat de 25 092,14 $ à 
l’entreprise en décembre 2017 – soit deux mois après avoir commandé 
l’enquête sur le stratagème des cartes de la CPAC.
Ce contrat n’a 
pas été accordé en vertu du programme de marchés réservés aux 
entreprises autochtones. Mais à l’époque, le Ministère était de toute 
évidence déjà préoccupé par le stratagème des cartes de la CPAC – un 
stratagème encouragé, selon plusieurs sources, par le « grand chef » 
Guillaume Carle.
Les conclusions de l’enquête sur « l’utilisation 
frauduleuse de cartes de statut visant M. Carle et son organisation […] 
ne font aucune référence » à Night Hawk Technologies, fait valoir 
William Olscamp. Il ajoute que « le secteur de la vérification et de 
l’évaluation du Ministère n’a reçu aucune allégation » à propos de cette
 entreprise.
« Ça m’étonne qu’on procède aussi cavalièrement à 
enregistrer des entreprises détenues par de faux autochtones, s’inquiète
 néanmoins le député néo-démocrate Romeo Saganash. J’ai l’impression que
 les départements de ce ministère ne se parlent pas. Ce n’est pas censé 
se passer comme ça ! »
Les contrats décortiqués
Depuis
 2001, neuf ministères fédéraux ont accordé à Night Hawk Technologies 
des contrats d’approvisionnement et d’informatique d’une valeur totale 
de 7,5 millions, selon des informations obtenues par 
La Presse
 auprès de ces ministères. Près du tiers de cette somme (2,2 millions) a
 été versée pour des contrats accordés dans le cadre du programme 
des marchés réservés aux entreprises autochtones. D’autres contrats 
(1,1 million) ont été accordés sans passer par ce programme. Pour le 
reste (4,2 millions), cette information n’était pas disponible dans les 
archives des ministères.
Contrats d’approvisionnement attribués à Night Hawk Technologies par des ministères fédéraux, 2001-2018
Travaux publics Canada
Dix contrats : 2 584 249 $
Agence du revenu du Canada
Dix-huit contrats : 1 740 000 $
Services aux Autochtones Canada
Sept contrats : 1 275 059,57 $
Transports Canada
Vingt-quatre contrats : 890 852 $
Emploi et Développement social Canada
Dix contrats : 486 230 $
Défense nationale
Dix-sept contrats : 220 066,30 $
Affaires mondiales Canada
Dix contrats : 147 219,28 $
Ministère des Finances
Quatre contrats : 73 993 $
Développement économique Canada pour les régions du Québec
Un contrat : 61 160 $
Total : 7 478 829,15 $