jeudi 20 avril 2023

ACTIVITÉS MINIÈRES: Demandes d’Exclusion d’Activités Minières: Les Villes se Heurtent à Québec

Dans son nouveau schéma d'aménagement, la MRC de Vaudreuil-Soulanges indique que selon « un principe de précaution », le mont Rigaud, que l’on peut voir en arrière-plan sur notre photo, devrait être identifié comme un territoire incompatible avec l’activité minière. Mais un premier projet soumis par la MRC a été refusé par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts.


Demandes d’exclusion d’activités minières: Les villes se heurtent à Québec
Eric-Pierre Champagne
20 avril 2023

Soucieuses de protéger leur territoire, une trentaine de villes et de MRC ont soumis à Québec des secteurs qu’elles jugent incompatibles avec l’activité minière. Or, la majorité de leurs demandes d’exclusion se sont heurtées à un refus, a constaté La Presse. 

Les deux tiers des demandes refusées par Québec

Un claim minier, rappelons-le, est un droit exclusif permettant de vérifier la présence de minerai sur une portion de territoire. Pour moins de 100 $, l’acquisition d’un claim se fait rapidement par l’entremise de la plateforme de gestion de titres miniers (GESTIM) du ministère des Ressources naturelles et des Forêts.

De nombreuses municipalités du sud de la province se mobilisent afin d’interdire toute activité minière sur des portions de leur territoire. Mais la majorité des demandes des élus municipaux se heurtent à un refus de Québec, a constaté La Presse.

Depuis 2016, les villes et les municipalités régionales de comté (MRC) peuvent délimiter des territoires qu’elles veulent exclure de toute activité minière. Avec la hausse spectaculaire du nombre de claims miniers dans le sud de la province, entraînée par la course à l'électrification des transports, plus d’une trentaine de villes et de MRC ont ainsi désigné des territoires incompatibles avec l’activité minière (TIAM) au cours des six dernières années. 

Or, la majorité des demandes déposées au gouvernement du Québec pendant cette période ont d’abord été refusées par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF). Un constat qui inquiète le monde municipal au moment où la ministre des Ressources naturelles, Maïté Blanchette Vézina, tient une consultation sur l’encadrement minier. 

Maire de Thurso et préfet de la MRC de Papineau, en Outaouais, Benoit Lauzon se doutait qu’un grand nombre de MRC avaient essuyé un refus de Québec. « On voit la mobilisation dans toutes les MRC. On savait qu’il y en avait beaucoup [des refus]. Ça vient confirmer notre volonté de changer la loi », affirme le maire, qui est également membre du conseil d’administration de l’Union des municipalités du Québec (UMQ). 

Danielle Pilette, professeure associée de gestion municipale à l’Université du Québec à Montréal, s’est montrée surprise d’apprendre qu’autant de MRC ont déposé des projets de TIAM. « Ça fait beaucoup de MRC. On est beaucoup dans les terrains de jeu des Montréalais et des gens de Québec. Il y a de la villégiature [dans ces MRC] et des résidences secondaires », note-t-elle.

Selon Mme Pilette, ces nombreux refus de Québec risquent de nuire au développement économique des régions concernées. 

« Ces refus vont laisser planer une incertitude sur l’aménagement du territoire. C’est ne pas tenir compte du développement économique de ces régions. » - Danielle Pilette, professeure associée de gestion municipale à l’UQAM

Benoit Lauzon croit lui aussi que l’incertitude actuelle a un impact. « Il y a des entreprises touristiques qui arrêtent d’investir parce qu’elles craignent de se retrouver avec un claim minier [sur leur territoire] », avance-t-il. 

Un pouvoir avec des conditions

En janvier, au cours d’un forum organisé par l’UMQ, les élus ont fait valoir qu’ils n’ont pas véritablement le pouvoir de désigner des portions de leur territoire incompatibles avec les activités minières.

« On nous dit qu’on nous donne le pouvoir, mais ça demeure un pouvoir rattaché à des conditions. Car dans bien des cas, la demande de la MRC est refusée », avait rappelé le président de l’UMQ, Daniel Côté. 

Les élus s’inquiètent entre autres de la hausse importante du nombre de claims miniers dans le sud du Québec. Selon une compilation de la Coalition Québec meilleure mine, le nombre de claims miniers a bondi de 408 % entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2022 dans la région de Lanaudière. Les Laurentides et l’Outaouais ont connu des hausses de 71 % et 211 % pendant cette même période.

En mai 2022, une entreprise de la Colombie-Britannique avait entamé une troisième phase d’exploration minière dans les montagnes de Lac-des-Plages, en Outaouais, afin d’évaluer le potentiel d’y établir une mine à ciel ouvert.


Un claim minier, rappelons-le, est un droit exclusif permettant de vérifier la présence de minerai sur une portion de territoire. Pour moins de 100 $, l’acquisition d’un claim se fait rapidement par l’entremise de la plateforme de gestion de titres miniers (GESTIM) du ministère des Ressources naturelles et des Forêts.

Or
, une fois qu’un claim est désigné, les municipalités ont les mains liées et ne peuvent plus inclure ces zones dans leur proposition de territoire incompatible avec l’activité minière. L’UMQ et plusieurs groupes environnementaux demandent que Québec décrète un moratoire sur l’attribution de claims miniers. 

QS demande un moratoire

La députée de Québec solidaire et porte-parole en matière de ressources naturelles, Alejandra Zaga Mendez, a déposé mardi un projet de loi qui décréterait un moratoire de deux ans sur l’attribution de nouveaux claims miniers. 

« Pendant qu’on fait des consultations, il faut arrêter l’hémorragie, a plaidé la députée solidaire en entrevue avec La Presse. Il faut suspendre l’octroi de nouveaux claims miniers. »

« Surtout que ça ne prend que quelques minutes, acheter un claim minier, alors que les municipalités, elles, doivent passer par les 12 travaux d’Astérix pour désigner des TIAM sans l’assurance que leurs demandes seront acceptées » - Alejandra Zaga Mendez, députée de Québec solidaire

Questionnée par les partis de l’opposition pendant une séance de la Commission sur l’agriculture, les pêcheries, l’énergie et les ressources naturelles, le 17 mars dernier, la ministre Maïté Blanchette Vézina a affirmé qu’« il serait dangereux de faire un moratoire parce que ça enverrait un message que le Québec ne veut plus faire partie des gouvernements qui souhaitent mettre de l’avant la décarbonisation de la communauté mondiale ».

Selon la ministre, un moratoire n’est pas nécessaire puisqu’il y a les TIAM. « C’est un outil [les TIAM] qui est déjà mis à la disposition des MRC pour se prémunir si elles sont inquiètes du processus d’octroi des claims », a-t-elle signalé lors de cette rencontre. 

Le monde municipal juge, de son côté, ne pas détenir de réels pouvoirs puisque Québec a le dernier mot. Selon les informations transmises à La Presse par le ministère des Ressources naturelles, 31 projets de règlement déposés par des villes ou des MRC « ont fait l’objet d’avis de non-conformité du MRNF en lien avec les TIAM ». 

Sur les 16 projets jugés conformes par Québec, on trouve ceux des villes de Sherbrooke et de Laval, ainsi que des MRC de Vaudreuil-Soulanges, de Roussillon, mais aussi des MRC de Bonaventure et de Charlevoix, moins urbanisées. Plusieurs des MRC qui ont reçu le feu vert de Québec ont dû revoir à la baisse leurs projets de TIAM pour se conformer aux orientations gouvernementales. 

La ministre Maïté Blanchette Vézina a indiqué lors de son interpellation en commission parlementaire qu’elle « était en mode solution ».

Maïté Blanchette Vézina, ministre des Ressources naturelles et des Forêts


« J’ai entendu les inquiétudes depuis que je suis en poste. […] Ce sont des préoccupations qui méritent qu’on s’y attarde et qu’elles soient prises en considération.  » Maïté Blanchette Vézina, ministre des Ressources naturelles et des Forêts

La consultation s’échelonne jusqu’au 19 mai. Les municipalités, les citoyens, les groupes environnementaux et l’industrie minière sont invités à y participer.

« On sent qu’il y a une écoute, mais ce qui est important pour nous, ce sont des résultats. Ça prend une ouverture claire de la ministre », affirme Benoit Lauzon.

Un article de loi qui change tout

Selon le ministère des Ressources naturelles et des Forêts, 24 municipalités régionales de comté (MRC) bénéficient actuellement d’une suspension temporaire de l’attribution de nouveaux claims miniers sur leur territoire.


L’abrogation d’un article de loi permettrait de rééquilibrer le rapport de force face à l’industrie minière, selon le monde municipal, des groupes environnementaux et Québec solidaire.

La loi en question, c’est la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), qui donne préséance aux titres miniers sur toute autre affectation du territoire. L’article 246 de la LAU indique en effet qu’« aucune disposition de la présente loi, d’un plan métropolitain, d’un schéma d’aménagement ou d’une résolution de contrôle intérimaire ou d’un règlement de zonage, de lotissement ou de construction ne peut avoir pour effet d’empêcher la désignation sur carte d’un claim, l’exploration, la recherche, la mise en valeur ou l’exploitation de substances minérales faites conformément à la Loi sur les mines ».

L’Union des municipalités du Québec, la Fédération québécoise des municipalités et des groupes environnementaux demandent que Québec biffe l’article 246 afin que la Loi sur les mines n’ait plus préséance en matière d’aménagement du territoire. 

Mais selon Guy Bourgeois, directeur général de l’Association de l’exploration minière du Québec, « rien ne justifie l’abrogation de cet article ». « On pense qu’il y a tous les outils appropriés [dans la loi] pour faire le travail correctement. Ce qui est important, c’est d’avoir un dialogue. […] Pour nous, l’accès au territoire [pour l’exploration minière] est un enjeu majeur », note-t-il. 

Un projet de loi déposé mardi par la députée de Québec solidaire Alejandra Zaga Mendez prévoit l’abrogation de l’article 246 de la LAU. « J’invite le gouvernement de la CAQ à saisir la main tendue de Québec solidaire et à adopter mon projet de loi, ce qui peut être fait très rapidement », affirme la députée de Verdun.

Alejandra Zaga Mendez, députée de Verdun, en compagnie de Manon Massé, porte-parole de Québec solidaire


« Refuser d’agir maintenant reviendrait à laisser l’industrie minière se précipiter pour acquérir des claims par milliers avant que les règles du jeu ne se durcissent. » Alejandra Zaga Mendez, députée de Québec solidaire

Agir rapidement

À défaut d’un moratoire, plusieurs MRC bénéficient d’une suspension temporaire pour l’attribution de nouveaux claims miniers. Selon le ministère des Ressources naturelles, 24 MRC bénéficient actuellement d’une telle suspension puisqu’elles ont entrepris des démarches pour désigner des portions de leur territoire qu’elles veulent exclure de toute activité minière.

Celle-ci doit cependant être renouvelée tous les six mois et la décision définitive revient à Québec, souligne Éric Pelletier, directeur général à la MRC d’Argenteuil, une MRC dont le projet de territoire incompatible avec l’activité minière (TIAM) a été refusé par Québec en 2021. 

La MRC souhaitait protéger 87 % de son territoire de toute activité minière alors que les critères définis par les orientations gouvernementales lui permettraient d’en protéger plutôt 74 %. La suspension temporaire en vigueur depuis 2017 s’applique pour 78 % du territoire de cette MRC des Laurentides. 
Selon la Coalition Québec meilleure mine, Québec doit entreprendre « une réforme en profondeur de son régime minier ». 

« Le gouvernement ne peut plus prétendre vouloir exploiter des minerais d’avenir avec ses lois désuètes qui encouragent les impacts environnementaux et bafouent les droits des autochtones et des populations locales », affirme son porte-parole, Rodrigue Turgeon.




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