Gérard Bodard et Richard Chartrand: les rois des Zingues
Marie Tison
6 juillet 2020
La fermeture de la frontière force bien des randonneurs, habitués aux
Adirondacks et aux montagnes Blanches, à chercher de beaux sentiers
sauvages au Québec.
Ils en
trouvent. Et souvent, ils constatent que ces sentiers sont l’œuvre de
gens hors du commun, comme Richard Chartrand et Gérard Bodard, les
comparses à l’origine de la Route des Zingues, à Duhamel, dans
l’Outaouais.
Avec
ses sentiers secondaires qui mènent à d’agréables points de vue, la
Route des Zingues constitue une randonnée de près d’une vingtaine de
kilomètres.
« Il fallait être un peu dingues, Gérard et moi, pour faire tout ça bénévolement », lance Richard Chartrand.
Le nom du sentier se veut donc un clin d’œil à ses dingues de créateurs et à la fameuse route des Indes.
« Nos
deux familles passaient l’été au lac Gagnon, se remémore M. Chartrand.
Tranquillement pas vite, on se faisait de petits bouts de sentier à
gauche, à droite. Quand je suis devenu maire de Duhamel pour quatre ans,
en 2005, je me suis dit : tant qu’à garder ça pour nous, pourquoi ne
pas en faire profiter les autres ? »
La meilleure façon de protéger la forêt, c’est de l’envahir. - Richard Chartrand
Il
a demandé les autorisations nécessaires pour ouvrir un sentier en bonne
et due forme, mais il ne les a pas attendues pour se mettre au travail
avec Gérard Bodard, « un peu en squatteurs ».
« J’avais
fait la signalisation, ma femme avait peint les petits panneaux,
c’était dans la cave. Quand on a eu l’autorisation, dès le lendemain, on
a été l’installer. Les gens du Sentier national sont venus voir la
Route des Zingues, ils l’ont homologuée. Ça a coûté zéro dollar, cette
affaire-là. »
Richard
Chartrand ne s’est pas arrêté là. Il a dessiné la carte des sentiers et
conçu plusieurs panneaux de signalisation et d’interprétation, souvent
avec humour. « Surveillez vos enfants, est-il écrit sur un panneau près
d’un belvédère quelque peu vertigineux. Ils pourraient descendre plus
vite que vous pensez. »
Richard
Chartrand et Gérard Bodard se sont également amusés avec la toponymie :
le col du Trou-Malin fait référence au col du Tourmalet, dans les
Pyrénées, et la faille Itombé désigne une sorte d’obélisque rocheuse
détachée du roc.
« J’ai toujours aimé attirer l’attention des gens par des noms », note M. Chartrand.
100 000 $
L’inauguration
de la Route des Zingues a eu lieu en 2011. Le sentier se termine
officiellement au nord du lac Preston, mais les deux comparses
continuent à ouvrir le sentier au-delà de la rivière Preston dans le
but, un jour, de rejoindre le sentier du mont Resther, dans la réserve
faunique Papineau-Labelle, et, éventuellement, de connecter le sentier à
d’autres sections du Sentier national dans les environs de Labelle.
M. Chartrand espère que les gens de La Minerve et de Labelle saisiront
la balle au bond et travailleront sur le projet.
Richard
Chartrand et Gérard Bodard ont ouvert un autre sentier, Iroquois, au
sud de Duhamel. Il est particulièrement populaire, étant situé à
proximité du centre touristique du Lac-Simon.
Les
deux hommes continuent à veiller sur la section actuelle de la Route
des Zingues. Récemment, le petit-fils de M. Chartrand lui a rapporté que
la région de Kamouraska s’enorgueillissait d’un énorme pin blanc d’un
diamètre de 13 pieds (3,9 mètres). Richard Chartrand s’est alors
précipité sur l’un des sentiers d’accès de la Route des Zingues, le
sentier Caroline, pour y mesurer un énorme pin qu’il avait remarqué et
qu’il avait nommé Monsieur le Pin.
« C’est ce que je pensais, il est plus gros ! », s’exclame-t-il.
Pas question d’essayer de le protéger avec des clôtures ou d’autres moyens, comme y songe Kamouraska.
« Leur
problème, c’est que leur pin est accessible aux quads, explique
M. Chartrand. Notre sentier a été conçu pour que les quads n’y aient pas
accès. »
La
municipalité de Duhamel a commencé à contribuer à l’entretien de la
Route des Zingues. Récemment, les autorités ont reçu une subvention de
100 000 $ pour mettre le sentier en valeur, ce qui inquiète un peu
Richard Chartrand.
Je veux que ça reste sauvage, je ne veux pas que ça devienne un grand sentier comme ceux de la Capitale nationale à Ottawa. - Richard Chartrand
Il craint que l’on veuille percer des voies d’accès pour les quads « pour aller sortir le monde qui sont mal pris ».
« On
peut améliorer la signalisation, les stationnements, sécuriser les
belvédères, énumère-t-il. Il y a un petit pont que nous avons fait il y a
presque une dizaine d’années, il va être dû pour être refait. Ce sont
des choses comme ça qu’on peut faire en utilisant correctement ces
100 000 $. »
Pendant
longtemps, Richard Chartrand a passé ses étés à Montréal, où il gérait
deux établissements Dairy Queen, et ses hivers à Duhamel pendant la
saison morte. Jeune comptable agréé, il avait repris le Dairy Queen que
son père venait d’acheter, mais qu’il ne pouvait gérer pour des raisons
de santé.
« Ç’a
été un peu difficile pour mon ego au début, raconte M. Chartrand.
J’avais un petit chapeau de Dairy Queen sur la tête et les copains avec
qui j’avais étudié passaient me voir, habillés en complet-cravate. Mais
après mon premier hiver dans le Nord, dans le bois, je me suis dit que
dans le fond, j’étais bien. »