Ils ont des orientations qui sont différentes, dit Marc L'Heureux. On a présenté des exclusions, mais c'est trop grand, ce qu'on a demandé.
Québec et l'industrie se veulent rassurants
Au cabinet du ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles Jonatan Julien, on répond que l'existence d'un projet d'exploration est loin de signifier l'ouverture d'une mine. C'est très rare que des projets franchiront l'ensemble des étapes, puisque le Québec dispose d'un cadre légal rigoureux bâti sur les principes de développement durable
, écrit l'attachée de presse du ministre, Emmanuelle Ducharme.
Selon la directrice générale de l'Association de l'exploration minière du Québec, Valérie Fillion, il faut effectivement relativiser l'impact de la présence des nombreux claims dans le sud-ouest du Québec.
« Dans cette région-là, il n'y a pas d'espace pour faire d'expansion tant que ça parce qu'il y a tellement d'interdictions partout autour que c'est vraiment un enjeu. »
— Une citation de Valerie Fillion, directrice générale de l'Association de l'exploration minière du Québec.
Un moratoire demandé
N'empêche qu'à quelques semaines des élections québécoises, de nombreux élus municipaux, militants et résidents espèrent que cet enjeu sera discuté en campagne.
Une vingtaine de municipalités de l'Outaouais ont même dressé de grandes pancartes sur leur territoire pour afficher clairement qu'elles ne souhaitent pas accueillir de mines. Aussi, des maires se rencontrent mercredi pour demander un moratoire sur les claims.
Ce serait pertinent de mettre un moratoire maintenant, de prendre le temps de regarder la situation, de changer les balises pour s'assurer que les milieux touristiques soient protégés
, dit Ugo Lapointe de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine.
Si on attend, on ne va pas voir qu'est-ce qu'il y a en dessous de nos pieds au Québec, ça va finir qu'on va importer la substance première
, répond Valérie Fillion.
En pleine course économique mondiale pour électrifier les transports, le Québec a donc un dilemme à résoudre.
Parc régional du Réservoir-Kiamika: Une mine dans un parc ?
Un exploitant minier convoite un gisement de graphite situé en partie dans un parc régional des Laurentides à vocation de conservation et prisé des adeptes de plein air. Des citoyens et des élus s’inquiètent de voir son territoire défiguré par une mine, qui mettrait aussi en péril un projet récréotouristique de 2,5 millions.
« Ce n’est pas à côté du parc : c’est dans le parc », fustige Marie-Claude Provost, directrice du parc régional du Réservoir-Kiamika, situé près de Mont-Laurier.
Elle fait référence au projet Mousseau Ouest : une mine de graphite potentielle d’une superficie de 489 hectares, accessible à partir de la route 117 sur 12 km de chemins forestiers.
L’entreprise ontarienne Northern Graphite veut acheter un lot de claims miniers dans l’intention d’exploiter le précieux minerai.
Un claim est un titre minier qui donne à son propriétaire le droit exclusif de chercher des substances minérales sur le terrain d’un domaine de l’État.
Le graphite – essentiel à l’électrification des transports – est au cœur du développement d’une filière batterie au Québec, comme l’ambitionne le gouvernement de François Legault.
« Mousseau Ouest a le potentiel de devenir un projet significatif », a réagi Hugues Jacquemin, PDG de Northern Graphite, dans un communiqué publié le 8 août dernier.
Nous nous attendons à ce que le gisement joue un rôle important à mesure que l’entreprise consolide sa position de seul producteur significatif de graphite en Amérique du Nord.
Hugues Jacquemin, PDG de Northern Graphite, dans un communiqué
Aucune vente n’a encore été conclue avec Imerys Group, l’actuel propriétaire des claims miniers, mais le projet inquiète élus et citoyens.
C’est qu’une large portion du site est située sur le territoire du parc régional du Réservoir-Kiamika, qui abrite une réserve de biodiversité de 46 km2 et une dizaine de lacs.
« Le paysage va complètement changer. Ce n’est pas du tout, du tout compatible », s’insurge Marie-Claude Provost.
Un projet déjà financé
Qui plus est, Québec a octroyé au parc, en juin, plus de 1 million de dollars qui serviront à la construction d’un centre éducatif et écotouristique.
Le projet, financé à hauteur totale de 2,5 millions, prévoit l’ajout de 4 camps rustiques, 5 prêts-à-camper, 17 sites pour roulottes et 10 sites de camping rustique.
Or, la possible exploitation de graphite menace l’avenir du projet, craint la Ville de Rivière-Rouge, qui a investi 150 000 $ dans sa réalisation.
« C’est certain qu’on s’oppose au projet minier », répond Denis Lacasse, maire de Rivière-Rouge, en entrevue avec La Presse.
Imagine : t’as un projet touristique, le gouvernement investit au-dessus d’un million et là, il pourrait y avoir l’achat de claims miniers.
Denis Lacasse, maire de Rivière-Rouge
Dans une résolution adoptée à l’unanimité le 9 août, la Ville interpelle le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles afin qu’il protège le parc régional du Réservoir-Kiamika « de l’exploration et de l’exploitation minière de toute substance minérale ».
Joint par La Presse à de nombreuses reprises, le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles n’a pas répondu à nos questions.
La députée caquiste de la circonscription de Labelle, Chantale Jeannotte, indique « suivre le dossier avec intérêt ». Pour elle, « l’acceptabilité sociale est primordiale », écrit l’élue.
« Cela dit, l’existence d’un projet d’exploration ne signifie pas nécessairement l’ouverture d’une mine », rappelle-t-elle.
« C’est plutôt rare que des projets franchissent l’ensemble des étapes en raison du cadre légal rigoureux du Québec, justement bâti sur les principes de développement durable », souligne Mme Jeannotte.
« Très loin d’une mine en opération »
« On est très loin d’avoir une mine en opération », assure Philippe Gervais, directeur principal de la firme de relations publiques Navigator, qui représente Northern Graphite.
Si une vente est bel et bien conclue, l’entreprise aurait le droit exclusif de chercher des substances minérales sur le territoire pour une période de deux ans. Dans ce cas-ci, des forages d’exploration ont déjà révélé un potentiel d’exploitation de graphite.
Pour ensuite aller de l’avant et construire une mine, Northern Graphite devrait se plier à toutes les exigences imposées par Québec, rappelle M. Gervais.
« Il faut faire des études environnementales, des consultations. On va faire tout ce qu’il faut », affirme M. Gervais.
Mais ça ne suffit pas à rassurer les citoyens.
« On refuse que le paysage soit dévasté », tonne Raymond Carrier, président de l’Association des propriétaires du réservoir Kiamika.
Selon une carte du projet consultée par La Presse, moins de cinq kilomètres séparent une zone habitée du potentiel site minier.
On pense qu’il y aura un bon nombre de nuisances, dont la poussière et le bruit. Et sur le lac, on sait que le son se propage très facilement.
Raymond Carrier, président de l’Association des propriétaires du réservoir Kiamika
De plus, les citoyens sont préoccupés par les impacts inconnus de l’exploitation minière sur la faune et la flore du parc régional du Réservoir-Kiamika.
« On s’inquiète des effets sur les cours d’eau et les petits lacs. Sans compter que les camions vont emprunter des sentiers forestiers », souligne Raymond Carrier.
Selon Philippe Gervais, il est encore trop tôt pour discuter d’éléments précis comme le trajet des camions, mais il assure que toutes les parties seront consultées.
« Si on va de l’avant, il va y avoir des consultations pour voir comment on peut tous vivre ensemble », souligne-t-il.
L’inquiétude grimpe ailleurs au Québec
C’est loin d’être le premier projet de mine qui suscite l’inquiétude dans les dernières années au Québec.
Début août, 21 municipalités de l’Outaouais ont lancé une offensive contre l’exploitation minière dans leur région, dont elles craignent les impacts sur les lacs et la qualité de vie des résidants.
À Saint-Michel-des-Saints, dans Lanaudière, la mine à ciel ouvert de la société Nouveau Monde Graphite, dont la construction a été lancée à l’été 2021, continue de diviser la communauté. C’est que le projet avait obtenu le feu vert de Québec, même si certaines études environnementales n’avaient pas encore été complétées.
Un autre projet de mine de graphite, La Loutre, situé entre Duhamel et Lac-des-Plages, dans les Laurentides, est à l’étape des forages d’exploration.
« On le voit partout, on en entend partout. On regarde ce qui se fait ailleurs, et on ne veut pas ça chez nous », déplore Marie-Claude Provost.
« Je sais qu’on a besoin de graphite pour les batteries, mais il y a des endroits où l’acceptabilité sociale est présente. Mais dans les Laurentides ? Dans un parc ? », lance-t-elle.
Une coalition d’organismes demande un « moratoire »
Une coalition d’une dizaine d’organismes et une MRC pressent Québec d’instaurer un moratoire sur le « boom sans précédent » de claims miniers dans les zones de villégiature et de tourisme.
Le sud du Québec est frappé par une « vague de claims miniers », déplorent une dizaine d’organismes, appuyés par la MRC de Papineau, dans une missive adressée au gouvernement.
« À ce rythme, on sera bientôt devant un fait accompli. Le Québec va devenir l’Alberta des minéraux », tonne Louis St-Hilaire, porte-parole du Regroupement de protection des lacs de la Petite-Nation, qui mène la charge.
De janvier 2021 à août 2022, la coalition a épluché – et cartographié – les données du GESTIM, le registre public des droits miniers du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.
Et ce qu’elle a trouvé « est bien pire que ce qu’on imaginait », souligne M. St-Hilaire.
Dans Lanaudière, où on observe la plus forte hausse, les titres miniers ont augmenté de 408 % depuis 2021. Suivent l’Outaouais (211 %), les Laurentides (71,2 %) et la Mauricie (49 %).
Au total, l’augmentation moyenne est de 129 %, près de 5 fois plus que ce qui est observé à l’échelle du Québec au cours de la même période.
Le boom coïncide avec le virage électrique de Québec, qui mise sur l’exploitation de « minéraux d’avenir », dont le graphite, remarque la coalition.
Parcs et réserves fauniques
Ce qui l’inquiète davantage, toutefois, c’est la hausse des titres miniers autour des parcs et dans les réserves fauniques.
Des centaines de claims sont collés sur des parcs nationaux et régionaux d’envergure, dont le parc national du Mont-Tremblant, alors que d’autres se retrouvent directement à l’intérieur de réserves fauniques d’importance comme la réserve de Papineau-Labelle, observe-t-on sur la carte produite par la coalition.
Évidemment, tous les titres miniers n’aboutissent pas à une mine, rappelle Louis St-Hilaire. « Mais c’est la première étape », précise-t-il.
Ainsi, les organismes réclament un moratoire sur la vente de nouveaux claims dans les zones de villégiature et de tourisme, et ce, tant que la Loi sur les mines et les règles d’application des « territoires incompatibles avec l’activité minière » (TIAM) n’auront pas été modifiées afin de mieux protéger ces secteurs et les milieux naturels qu’ils abritent.
« Il faut remettre la santé et l’environnement au cœur des lois et des politiques minières actuelles », plaide Ugo Lapointe, porte-parole de la Coalition Québec meilleure mine.
« Nos citoyens sont très attachés à notre territoire, parsemé de lacs et cours d’eau exceptionnels. Nous entendons très clairement leur message et nous le partageons », affirme aussi Benoit Lauzon, préfet de la MRC de Papineau.